De 1984 à 1987, la dernière décennie de la guerre froide, l'une des trois seules chaînes de télévision gouvernementales de Taïwan, la CTS, a publié une série de science-fiction très rare et très étrange intitulée Space Warriors (Guerriers de l'espace). Il s'agit d'une copie et d'une adaptation de la série télévisée japonaise des années 1970, Super Sentai. La CTS a fini par arrêter la diffusion de cette série pour des raisons telles qu'une faible audience, des qualités de production instables, de mauvaises réactions de la part des téléspectateurs et, bien sûr, l'essor de la VHS et de la télévision par câble, qui ont importé la série originale du Japon. La série combinait des fantasmes et des contes populaires qui faisaient allusion au nationalisme, au confucianisme et aux valeurs chauvines, ce qui constituait une expérience unique de la mémoire collective de l'île à l'époque de la loi martiale.

Dans la lignée de la série Re-Shooting de Su Hui-Yu, ce projet tente d'inviter les gens à revisiter la mémoire collective du genre de la science-fiction, en créant un ensemble d'installations vidéo, de photos et même une véritable pièce de cinéma. La "nouvelle version" recréera un univers à la morale dualiste, par lequel l'artiste peut commencer un récit fallacieux du "travail comme carburant pour créer le temps" qui inclut une race extraterrestre immorale qui envahit la terre. Dans ce scénario, les extraterrestres malveillants qui s'évaluent eux-mêmes à des désirs multiformes pourraient causer l'extinction de la race humaine. L'un des principaux concepts de ce nouveau récit est tiré de la théorie du "Queer Time" de Jack Halberstam, qui sert de levier à la chaîne d'idées de cette pièce, comme la déconstruction, la relocalisation, l'anti-productivité, l'horloge anti-sociale, la lutte contre la perspective historique masculine et classique, ainsi que les retombées du Queer pour aborder divers domaines et catégories.

En utilisant des outils d'IA open-source tels que le suivi des mouvements, la reconnaissance faciale et la génération d'images (le logiciel cette fois est Stable Diffusion) qui reflètent les propositions de la politique du corps de l'époque moderne, en les combinant avec des compétences cinématographiques traditionnelles telles que la prise de vue, les performances humaines et l'animation CG qui représentent les logiques classiques des images en mouvement, l'artiste veut soit métaphysiquement soit techniquement fournir une solution de réconciliation pour ceux qui luttent encore avec les nations, les identités, les genres, les morales et les idéologies. The Space Warriors and the Digigrave est un moyen de sortir de la narration, la narration qui conduit les gens à l'unité et à l'unicité.

L'image de départ est la côte nord-est de Taïwan, où la nature est toujours cruelle. Les rochers ont été façonnés pendant des milliers d'années par le mouvement des plaques et différents types de puissances en provenance du Pacifique. En tant que terrain d'atterrissage des soi-disant extraterrestres, le champ possède de multiples métaphores. Les paysages qui ressemblent à des créatures sont effrayants, beaux et parfois sexy, comme l'art vidéo et sa référence aux années 1970. L'une des scènes de la vidéo est celle de la salle commémorative du Dr Sun Yat-Sen - père de la nation de la République de Chine, Taiwan selon le récit du gouvernement nationaliste pendant la guerre froide - qui est également une ruine intéressante de nos jours. L'auditorium de l'institut représente une ambiance de loi martiale, et les étudiants sont attaqués tandis que le professeur tente de faire un discours patriarcal/patriotique.

Les caractères chinois en arrière-plan sont des termes et des phrases contradictoires, ou ce que l'on appelle les mots-clés des indices principaux. Par exemple,dans la première section, au début, les mots sont île, carburant, énergie et temps ; la deuxième section, colonie, occupe ; la troisième, leader, nation, communauté, unité, guerre froide ; la quatrième, sexe comme arme, apogée, fornication, violence et meurtre ; la cinquième, guerre, militariste, dictature, interdiction, correction morale, justice ; et la toute dernière partie, extase, harmonie mondiale, univers, planète, avenir humain, mécanisme, énergie, exploitation minière, informatique et foi collective, etc. Dans le même temps, les motifs graphiques abstraits montrent l'esthétique de Taïwan à une certaine époque, dans sa version numérique contemporaine.

En arrière-plan, on peut voir un vaisseau spatial appelé Digigrave, généré par l'IA d'après la pierre tombale du dictateur - Chiang Kai-shek Memorial Hall - dans le centre de Taipei. La dichotomie est donc déconstruite, les extraterrestres pourraient être le chef de notre race. Mais ironiquement, le dictateur qui a déclaré vouloir protéger les êtres humains pourrait avoir raison (ou peut-être s'agit-il de la "droite politique")? Les couches d'images du chaos représentent le chaos lui-même. C'est le corps de l'évacuation, l'évacuation de ceux qui ont besoin de s'échapper de la planète/île, que ce soit au niveau métaphysique ou moral.